jeudi 17 avril 2014

Celle qui voulait être présidente de l'Algérie : Louisa Hanoune est la seule femme en lice à la présidentielle algérienne. Portrait

Louisa Hanoune


Elle fut, en 2004, la première femme du monde arabe à se présenter à une élection présidentielle. Dix ans après, Louisa Hanoune est encore l’unique femme candidate à celle qui se déroule ce jeudi en Algérie. Portrait d’une « pure et dure » qui s’est imposée comme une figure traditionnelle dans le paysage politique du pays.

Louisa Hanoune
 
« Louisa Hanoune est femme, trotskyste, qui parle français et qui n’est pas voilée. C’est un programme politique à elle seule », ironise Pierre Vermeren, professeur d’histoire du Maghreb à la Sorbonne, sur la personnalité atypique de l’unique femme candidate à l’élection du 17 avril en Algérie. Née quelques mois avant le début de la guerre d’Indépendance, en 1954, c’est dans son enfance qu’elle trouve l’origine de son engagement, lorsque sa maison est détruite par une opération de l’armée française. « Cet épisode m’a traumatisée, confessait-elle en 2009 à Jeune Afrique. Ce jour-là j’ai pris conscience que je ne pourrai jamais me taire face à l’injustice. » La militante en herbe bénéficie alors d’une scolarisation, ce qui est rare à l’époque pour les jeunes femmes, et sortira diplômée en droit de l’université d’Annaba. Le climat très politisé d’une Algérie libérée et révolutionnaire propulse son engagement. « Tout le monde parlait encore de la guerre de libération, de socialisme, de justice, de progrès. »

Ces causes seront le combat d’une vie. Depuis les années 1980, Louisa Hanoune lutte sans relâche au sein de l’opposition et défie avec audace une scène politique dominée par les hommes. En 1981, elle rejoint l’Organisation socialiste des travailleurs (OST), un groupuscule d’extrême-gauche traqué par la police. Après plusieurs séjours en prison, en 1983 et en 1988, elle est élue porte-parole du mouvement en 1989. L’année suivante, après la réforme constitutionnelle qui instaure le multipartisme, elle devient secrétaire général du Parti des travailleurs. En 1999, elle est élue députée. La même année, sa première candidature à la présidentielle a été rejetée par le Conseil constitutionnel. Elle se présente finalement en 2004, ne remporte que 1% des suffrages, mais continue à s’imposer comme une personnalité forte du paysage politique algérien.

« Une candidate digne, forte, honnête »

Aujourd’hui, Louisa Hanoune milite imperturbablement pour l’instauration d’« une deuxième République » (Le slogan de sa campagne, NDLR). « Il faut avoir du cran pour faire ce qu’elle a fait en Algérie, explique Mansouria Mokhefi, la conseillère spéciale du programme Moyen-Orient et Maghreb à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et chercheur associé au Conseil Européen des affaires étrangères (Ecfr). Elle a montré qu’elle n’avait peur de rien et a osé mener son combat dans un monde politique dominé par les hommes. Elle a montré qu’elle pouvait leur tenir tête. » C’est aussi son combat pour les femmes qui séduit. « Sa lutte était d’abord tournée vers le prolétariat ouvrier, explique Mansouria Mokhefi. Elle n’est pas une féministe en tant que tel, elle est avant tout un leader politique. Mais les femmes apprécient de savoir qu’elle est là. » Car Louisa Hanoune mène un combat de femme. Elle est par exemple toujours montée au créneau contre le code de la famille qui réduit le statut de la  femme à celui d’une mineure aux yeux de son père et de sa famille. « Elles sont des centaines de milliers à avoir refusé de se marier après l’adoption du code », commente à cet égard, Pierre Vermeren.
Elle se présente contre tout l'establishment
« J’ai les mains propres, revendiquait Louisa Hanoune lors d’une conférence donnée début avril au siège de son parti. Je n’ai pas réprimé, je n’ai pas bradé les entreprises, je n’ai pas opprimé les femmes. » Aujourd’hui dans un climat de divorce entre le gouvernement et le peuple, elle est perçue comme la seule candidate « digne, forte et honnête », confirme Mansouria Mokhefi. « Elle se présente contre tout l'establishment, poursuit la chercheuse de l’Ifri. Elle sait que tout est déjà décidé, mais elle incarne l'espoir pour ceux qui ne se reconnaissent plus dans le gouvernement. Elle maintient aussi la conscience d'un combat ouvrier dans une Algérie qui ne représente plus la figure d'un pays socialiste d'avant-garde, comme c'était le cas dans les années 1970. » Ses scores extrêmement bas aux précédentes élections ne font pas d’elle une opposante crédible. « Elle ne dérange personne. Elle est là pour montrer qu’il y a une représentation féminine, de gauche, comme s’il y avait une large représentativité politique, analyse Pierre Vermeren. Elle sert de caution au régime qui s’arrange bien de sa présence. » Malgré la sympathie et le respect qu’elle impose, semble-t-il, dans la société civile algérienne, Louisa Hanoune ne parviendra probablement pas, au regard de ses précédents scores, et du climat électoral, à cristalliser aujourd’hui, le désespoir du pays.

Le Figaro Madame