jeudi 7 novembre 2013

Algérie 2013, France 2005: Si loin, si proches

Ira? N'ira pas? La question brûle toutes les lèvres: Le président sortant briguera-t-il un nouveau mandat? Dépassé, affaibli, politiquement contesté, l'habile septuagénaire, en politique depuis toujours, semble désormais au soir de sa vie. Ses partisans, pourtant, n'en démordent pas: Il lui reste l'énergie pour accomplir un nouveau mandat. Un dernier quinquennat, peut-être, avant de profiter d'un repos bien mérité. Bienvenue dans l'Algérie de novembre 2013. Ou la France de fin 2005.
2 septembre 2005. Jacques Chirac est hospitalisé au Val-de-Grâce pour un accident vasculaire cérébral. Sorti de l'hôpital une semaine plus tard, le président se voit interdire l'avion pendant quelques semaines. En coulisses, une âpre bataille opposait les médecins à Bernadette et Claude Chirac. Dans leur livre sur la santé des présidents, Denis Demonpion et Laurent Léger racontent comment la mère et la fille tentent de minimiser au maximum les faits:
"Bernadette et Claude Chirac voulaient que les médecins mentent, révèle un témoin de ces tractations en coulisses [...] Le tout premier communiqué fait état d'un petit accident vasculaire sans indiquer qu'il est cérébral, ayant entraîné un léger trouble de la vision. Petit, léger, autant de bémols pour atténuer la force du propos. [...] Il est également indiqué que cela devrait disparaître en quelques jours".
Villepin vs. Sarkozy ou Sellal vs. Saadani
Au moment de l'AVC, Dominique de Villepin est Premier ministre depuis quatre mois. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et chef de l'UMP. Le premier, pur produit de l'Enarchie, s'impose comme le recours chiraquien en cas d'empêchement du patriarche. Brillant, flamboyant, fin connaisseur des rouages de l'Etat, tel est le portrait qui est fait de lui par la presse. Un peu comme l'actuel Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, renommé un temps le "vice-président" par les journalistes. Certains médias, comme le très consulté TSA, le nantissent d'une "stature de chef d'Etat par intérim".

En septembre 2005, nul n'ignore en France les ambitions présidentielles de Nicolas Sarkozy. Mais l'ancien maire de Neuilly ne peut se lancer tant que Jacques Chirac n'a pas renoncé. Question de préséance républicaine. Alors il multiplie les annonces. Occupe la scène politique. Fixe l'agenda médiatique. Jette des pavés dans la mare. Le 26 octobre, sur la dalle d'Argenteuil, il promet de passer la cité au "Karcher" pour se débarrasser de "la racaille". En 2013, Amar Saadani, patron du FLN algérien, s'engage quant à lui à bouter hors des allées du pouvoir le DRS, le puissant Département du Renseignement et de la Sécurité.
Certes, le DRS n'est pas de la racaille, et ce serait faire œuvre de mauvais esprit que de voir un parallélisme sur ce plan. Néanmoins, l'activité médiatique du Secrétaire Général du premier parti algérien ne passe pas inaperçue. En campagne pour un quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, Amar Saadani ne craint pas d'embarrasser ses troupes lorsqu'il déclare que "le DRS faiseur de rois est une époque révolue" ou que "Sellal n'est pas fait pour la politique" et qu'il "devrait se contenter de son rôle dans l'exécutif". Des attaques qui là encore rappellent la rivalité exacerbée entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy à partir de 2005.
Les coulisses derrière Chirac
Dans la France de Jacques Chirac, le cessez-le-feu viendra de l'Elysée. Début 2006, le président de la République demande aux frères ennemis de la droite "de la retenue" en attendant que la question de sa succession soit à l'ordre du jour. Officiellement, les deux hommes mettent leur antagonisme en sourdine. En coulisses, il n'en est rien. Nicolas Sarkozy profite de la contestation contre le Contrat Première Embauche (CPE) en mars 2006 pour torpiller son concurrent, interdisant au parti qu'il dirige alors, l'UMP, de défendre la réforme. La même année, l'affaire Clearstream anéantit les ambitions présidentielles de Dominique de Villepin.
Dans la France de 2005, Jacques Chirac doit alors se rendre à l'évidence: il est trop fatigué pour se représenter, son Premier ministre est hors-jeu, Alain Juppé - son joker - revient tout juste de son exil canadien. Nicolas Sarkozy est seul en piste. Le 14 janvier 2007, le voilà officiellement investi par l'UMP. Deux mois plus tard, Jacques Chirac annonce qu'il ne briguera pas un troisième mandat et qu'il lui apporte son soutien. En mai 2007, Nicolas Sarkozy devient président.
Amar Saadani n'est pas le "big man"
L'histoire se répèterait-elle en Algérie? Bien malin qui ferait des prédictions sur l'élection d'avril 2014 sur la foi des similitudes enregistrées jusqu'ici avec la présidentielle française de 2007. Car une donnée fondamentale sépare Nicolas Sarkozy d'Amar Saadani: le temps passé à la tête du parti. Quand il se lance dans sa propre campagne, Nicolas Sarkozy a eu le temps de faire le ménage dans l'UMP. En trois ans, les récalcitrants ont été écartés, ses fidèles placés, et la machine est en ordre de marche.
Au FLN, la situation est toute autre. L'arrivée d'Amar Saadani demeure contestée en interne par Abderrahmane Belayat et ses amis. En ce sens, il n'est pas le "big man", l'homme le plus respecté de la tribu. Dans cette configuration, multiplier les annonces fracassantes lui permet certes de combler son déficit de notoriété par rapport à Abdelmalek Sellal, mais sans disposer pour autant d'un parti qui crédibilise et appuie ses propos. En somme, d'un parti qui le légitime.
Chirac un "lame duck", Bouteflika une énigme
Autre différence entre la France de 2005 et l'Algérie de 2013: Jacques Chirac était "lame duck" alors qu'Abdelaziz Bouteflika ne l'est pas. Empêché physiquement mais surtout politiquement, l'ex-président français avait perdu son poids et les parlementaires, le nez sur leur réélection, étaient moins enclins à coopérer avec lui. Avant même que Chirac ne renonce, une partie de la droite française avait déjà fait allégeance à Sarkozy.
En Algérie, les choses se passent différemment. Abdelaziz Bouteflika, plus discret que Jacques Chirac en 2005, demeure une énigme. La communication a minima autour de sa santé a été maitrisée. Le flou, entretenu. Nul ne peut affirmer avec certitude quelles sont ses intentions pour la présidentielle, alors que les éditorialistes français écrivaient dès 2006 que Jacques Chirac était fini. A ce titre, Abdelaziz Bouteflika demeure le "big man". Par extension: le "faiseur de roi". Et ça, Amar Saadani et Abdelmalek Sellal vont devoir s'y résoudre.

Neila Latrous
Huffington Post