dimanche 17 novembre 2013

Yasmina Khadra à “Liberté” : “Pourquoi je suis candidat”


Dans cet entretien, Mohammed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra, explique les principales motivations qui l’ont amené à se porter candidat à la présidentielle d’avril 2014.

Liberté : Votre candidature à l’élection présidentielle a surpris. Certains parlent d’un coup de pub, d’autres demeurent perplexes...

Yasmina Khadra : Je n’ai nul besoin d’un coup de pub. Je suis connu dans le monde entier et mes livres se portent bien sans fard ni fanfare. Je comprends la perplexité, voire le scepticisme de certains. Les gens ont le droit de douter.
Depuis notre Indépendance, le manque de discernement nous a induits en erreur et installés dans une sorte de méfiance. Ceux qui me connaissent savent que je suis sérieux, que lorsque je m’engage, je ne recule pas.

On vous reproche quelques maladresses, comme le fait d’accorder la priorité de vos déclarations aux médias étrangers...
J’ai accordé la priorité de mes déclarations à la presse algérienne. J’ai attendu le Forum de Liberté pour annoncer ma candidature. À Alger. Le Figaro et les autres médias n’ont fait que reprendre ce que la presse algérienne a diffusé et que l’AFP a repris. Par ailleurs, je réside en France et j’ai une audience internationale, c’est tout à fait naturel que les médias étrangers s’intéressent à ma candidature. Ce qui importe, c’est de diffuser l’information, atteindre les Algériens là où ils se trouvent. Tout outil de communication est important pour un candidat indépendant qui aura à tout construire par lui-même.

Qui a motivé votre décision ?

Je suis Algérien, je n’ai qu’une seule patrie et je voudrais y vivre dans les meilleures conditions possibles. Je n’ai pas le sentiment que ces conditions sont réunies aujourd’hui. Nous souffrons d’un grave problème de citoyenneté. L’Algérien subit son quotidien au lieu de le savourer. Nos valeurs et nos repères se sont volatilisés. Nous ne savons plus à quel saint nous fier. Notre peuple a besoin de recouvrer le respect qu’il réclame, la sérénité qu’il exige pour voir clair dans ses perspectives, la confiance dans ses institutions qui, jusque-là, le stressent et l’éprouvent à défaut de le servir. Nous avons besoin de savoir vers quel projet de société nous allons, la fiabilité de nos chances et la teneur de nos potentialités. Trop d’opacité nous empêche de garder le cap et d’avancer. La priorité de mon programme va au citoyen. Comment lui redonner confiance, lui faciliter la vie, lui rendre ses droits et le responsabiliser quant à l’accomplissement de ses devoirs ? Le malaise qui singularise son comportement résulte du statut de citoyen qu’on lui refuse. Or, la seule constance d’un pays est le peuple. Les richesses peuvent s’amenuiser, les frontières se déplacer, les saisons se chevaucher, mais le peuple demeure la vraie pérennité. Si nous voulons relever les défis qui nous attendent de pied ferme dans un monde impitoyable, nous devons construire un peuple capable de résister aux bouleversements des rapports de force et des rapports humains.
Un peuple instruit, éclairé, jaloux de ses acquis et qui se préoccupe des générations futures.
Je l’ai toujours dit : l’Algérie est un paradis dont les rêves sont ailleurs. Mais l’ailleurs est un point de chute dont on ne se relève pas. Il suffit de restituer aux Algériens les outils de leurs aspirations. Ce que je compte faire.

Sur quoi s’articule votre programme ?
Autour de la transparence. L’Algérien doit avoir droit de regard sur tout ce qui se fait en son nom, le droit d’exiger des comptes de ses décideurs, le droit d’être l’acteur de son devenir.
Un programme est lettre morte s’il n’est pas confié à la compétence agissante et créative. La compétence algérienne existe, encore faut-il l’impliquer dans la dynamique censée nous galvaniser. Parce qu’il dérangeait et agaçait les rentiers, le génie algérien a été marginalisé, muselé, par endroits forcé à l’auto-exclusion et à l’exil. Partout où je me suis rendu, en Asie comme en Europe ou ailleurs, j’ai rencontré d’authentiques prodiges qui ne demandent qu’à aider notre pays à aller de l’avant. Tous m’ont avoué ignorer comment et à qui s’adresser.
Je serais là pour eux. Nous avons un arsenal juridique, des institutions, des ressources considérables, tout pour prétendre à une place honorable dans le concert des nations. Malheureusement, la théorie n’arrive pas à passer à la pratique escomptée. La bureaucratie décourage les initiatives, l’opacité qui pollue nos projets profite à une minorité et à la médiocrité ambiante, les bonnes volontés s’émiettent contre la prévarication et la corruption a atteint des proportions d’une extrême dangerosité.
Il faut d’abord assainir les mentalités, permettre à l’Algérien d’évoluer dans l’hygiène morale et la quiétude. Le rapport au centre des décisions doit être serein, confiant et concret. Un gouffre abyssal isole le peuple des sphères gouvernantes. Il va falloir rebouter cette fracture. Mon programme pourrait alors reposer sur une base solide. Je ferais en sorte que la justice soit totalement indépendante et au service de la vérité et de l’égalité, que l’école soit attractive et enthousiasmante à même de fournir à l’université de quoi former les cadres de demain, que la santé réponde aux besoin de la population éprouvée par les angoisses et les colères, que l’économie du pays soit compétitive et conquérante, que l’agriculture, la pêche, l’industrie se découvrent de l’ambition sans laquelle le pouvoir d’achat ne suivrait pas et la dépendance alimentaire ferait de nous les otages des convoitises des puissances étrangères, que la culture investisse toutes les franges de la société, que notre jeunesse accède au savoir, au travail, à la formation professionnelle, qu’elle apprenne à compter sur elle et à réaliser ses rêves au lieu d’être livrée aux incertitudes et au désespoir, que la femme contribue effectivement à l’essor de la nation, que l’assistanat libère les énergies et la compétition utile à tous… Il s’agit d’un vaste programme que je suis en train d’élaborer avec des experts algériens qui partagent mon amour pour l’Algérie et qui connaissent concrètement les points forts et les points faibles de notre pays.

Quelles sont vos chances de réussite dans une campagne électorale traditionnellement verrouillée ?
C’est au peuple de décider. Il est mieux placé pour savoir ce qu’il veut. Il a connu des hauts et des bas sans jamais renoncer à son droit au bonheur et à la prospérité. Il sait surtout que le miracle est un leurre et que seules l’efficacité et la probité des engagements sont en mesure d’améliorer sa situation. Je suis de son avis, raison pour laquelle j’ai décidé de le rejoindre.
Je me présente comme un citoyen qui croit dans la chance de l’Algérie de renouer avec ses rêves, la joie de vivre et la fierté de servir et d’aller de l’avant. Je ne viens pas chercher la gloire, je viens la restituer à notre peuple qui a triomphé de toutes les déconvenues sans pour autant goûter aux saveurs de ses victoires.
Ma chance est indissociable de la chance de tout Algérien désireux de changer le cours de son histoire et d’accéder au respect et au progrès.