samedi 3 août 2013


DE L'AUTRE CÔTÉ

Algérie, la révolution en marche... du tourisme

Alors que le Maroc et la Tunisie font partie des destinations privilégiées des Français, l'Algérie reste globalement délaissée par les touristes. Les raisons, nombreuses, n'empêchent plus ce secteur de se développer, lentement mais sûrement, sans pour autant supplanter un tourisme mémoriel largement privilégié.
Algérie, région de Biskra
Algérie, région de Biskra
Flickr / laurentKB
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Expos, conférences, concert, projection, inauguration d'une stèle commémorative : fin juin, pendant toute une semaine, la mairie de Marseille a rappelé le lien fort qui lie la ville à l'Algérie, à l'occasion du "50e anniversaire de l'arrivée des Français d'Algérie en Métropole" (et quand même un peu de l'indépendance de l'ex-département ?). Un lien historique que l'on retrouve au présent à travers la forte population marseillaise d'origine algérienne et pieds-noirs, les débats localement pas toujours apaisés, en passant par le très symbolique financement par la mairie et le conseil régional de la restauration de la "soeur" de la Bonne Mère, Notre-Dame d'Afrique, et les rencontres entre grands élus et le président Bouteflika.
Si proche, l'Algérie n'en reste pas moins lointaine sur le plan touristique pour beaucoup de Marseillais et plus largement de Français, bien plus que ses voisins du Maroc et de Tunisie. Mais ce pays immense connaît toutefois dernièrement un décollage en la matière, au grand espoir de l'Etat algérien qui souhaiterait apporter un contrepoids à une économie encore dépendante des hydrocarbures. A tel point que le ministère du tourisme algérien attend environ 1,9 millions de touristes étrangers à l'horizon 2013 d'après le site d'actualité Algérie 360°. Pour preuve, même si les guides de voyages brillent encore pour leur rareté (voir notre seconde partie en page 2), la compagnie aérienne Aigle Azur, basée à Marseille, présente l'Algérie comme sa destination phare, tandis que des tours opérateurs comme Méditrad, spécialisé dans les terres et les îles de la Méditerranée, ont inscrit en 2011 l'Algérie au sommaire de leurs destinations conseillées.

Insécurité, préjugé

Entre l'attrait exercé par le Grand Sud - région encore la plus demandée - avec le Sahara immense offrant mille possibilités aux adeptes du trekking, les oasis, le nord avec sa côte magnifique préservée du bétonnage et ses sites antiques - bien que peu protégés - le pays ne manque pas de ressources. Pourtant, plusieurs entraves endiguent pour l'instant un essor fulgurant du secteur touristique. La sécurité, d'abord. Le ministère des Affaires étrangères français recommande d'éviter scrupuleusement tout déplacement dans le Grand sud Algérien,"en raison de menaces au Sahel". Les tours opérateurs démentent l'existence de tels dangers, n'hésitant pas à ignorer ces recommandations. Amine Lagoune, directeur de l'antenne marseillaise d'Algérie Tours N.D, propose des voyages dans ces zones déconseillées : "on se réfère plutôt aux recommandations des autorités algériennes qui sont plus réalistes."
Même son de cloche du côté de l'agence Falhi Voyage. Leur guide – bénévole - Raymond Aldeguer est catégorique : "C'est un préjugé. Il n'y a pas plus d'insécurité en Algérie que dans n'importe quel petit village en France. Partout, y compris dans les coins les plus reculés, vous êtes accueillis chaleureusement, avec des « Bienvenue chez vous ! »". Pour lui, le ministère des affaires étrangères appliquerait le principe du risque zéro, tout comme l'Etat algérien, qui ne rassure guère en proposant systématiquement aux groupes de touristes des escortes et autres services de sécurité : "Je suis le seul à avoir refusé toute escorte, j'ai dû signer une décharge pour désengager l'Etat algérien de toute responsabilité". Autre façon, sans doute, de décourager les plus téméraires : désormais, pour aller visiter le Grand sud, il faut un visa supplémentaire. Ajoutez à cela le Printemps arabe, bien qu'avorté en Algérie. "Cela a eu des répercussions importantes, ça a généré des craintes", selon Medhi El Kasmi, responsable de l'agence Falhi voyage à Marseille.

Prix prohibitifs

La mauvaise presse dont souffre l'Algérie n'est pas l'unique raison de l'état végétatif du tourisme. Les prix, d'abord, restent prohibitifs. Le tarif moyen d'un séjour d'une semaine, tout compris, s'élève à près de 800 €. "A ce prix là, ironise le guide Raymond Aldeguer, certains préfèrent aller en République Dominicaine". La facture d'une nuit en chambre d'hôtel est également salée - de l'ordre de 350 € - ainsi que les prix proposés par la compagnie Air Algérie, en quasi monopole, bien souvent délaissée pour la compagnie française Aigle Azur, systématiquement moins chère de 20 à 30 €. "Il n'y a pas de vols charter et les compagnies aériennes et hôtelières manquent de concurrence", confirme Amine Lagoune, d'Algérie Tours. Les ferries restent également chers - de l'ordre de 350 € l'aller-retour - et ne desservent quasiment qu'Alger et Oran, rarement les ports d'Annaba et Skikda -traversées peu fréquentes" indique le site d'Algérie ferries. Sans compter qu'il faut près de cinq heures pour accomplir la seule manœuvre du bateau dans le port d'Alger...
Le pays souffre aussi d'un manque d'infrastructures. Si les grandes chaînes hôtelières - Sofitel, Ibis, Atone, etc. - sont nombreuses à s'implanter, en plus des hôtels laissés en héritage par l'architecte Fernand Pouillon dans les années 70, elles ne visent pour l'instant qu'un tourisme d'affaires. Le manque de formations professionnelles dans le domaine touristique et hôtelier conjugué au problème de l'eau - manque de stations d'épuration, de stations de dessalement d'eau de mer - freine encore le potentiel touristique de l'un des pays les plus riches du monde, après l'Arabie Saoudite. Mais l'espoir est permis, à en croire notamment Amine Lagoune, directeur d'Algérie tours : "pas pour du tourisme de masse, plutôt pour du tourisme culturel ou écologique". Raymond Aldeguer est également optimiste, mais pour lui, il faut encore compter entre huit à dix ans avant que le tourisme émerge durablement.
S'il existe déjà bel et bien une évolution, encore perceptible, vers le développement d'un tourisme de "découverte", certains n'ont pas attendu pour se rendre en Algérie. Le consulat français d'Algérie relève sur son site que "de nombreux binationaux  - Français et Algériens -  et Algériens résidents en France viennent en Algérie pendant les mois d'été pour les vacances." C'est le constat établi également du côté de la compagnie Air Algérie, pour laquelle les clients sont essentiellement "des membres de la communauté algérienne. La proportion d'étrangers reste infime". Les raisons peuvent être religieuses, 20 % de ses clients d'après l'opérateur Algérie Tour, historiques (20%), ou encore sentimentales, avec le tourisme mémoriel, réclamé essentiellement par des pieds-noirs.

"Un pèlerinage"

Le directeur de l'antenne marseillaise d'Algérie Tour estime que la majorité de ses clients sont des pieds-noirs, tout comme le responsable de l'agence Falhi Voyage de Marseille, qui explique que sa clientèle s'en compose presque exclusivement. Medhi El Kasmi précise : "les gens partis assez précipitamment avec la guerre d'Algérie ont envie de retrouver leur quartier, des années après". Raymond Aldeguer, lui-même pied-noir, organise ces voyages depuis des années, après avoir lui-même fait l'expérience "du retour" : "Je me défends d'ailleurs de faire du tourisme. J'organise plus des voyages vers les racines, ce sont presque des pèlerinages." Au programme, voyages à la carte selon les désirs des clients. "Depuis que je fais cela, il n'y en a pas un qui ne m'ait dit qu'il aurait dû le faire avant. La plupart disent qu'ils vont revenir."
Lorsque cet ancien restaurateur propose, dans les années 70, ce type de tourisme, on lui rit pourtant au nez. Il s'accroche, les arguments paraissent solides : "les seules personnes qui vont accepter d'être mal logées et de payer cher sont les pieds-noirs, dans la mesure où, pour eux, la démarche est quasiment palliative. Les sentiments sont là. Et ce sont eux qui donneront ensuite envie à d'autres d'y aller". Après un temps d'arrêt provoqué par la guerre civile dans les années 90, le guide a repris ses voyages. Son plus beau souvenir reste celui de cet homme âgé de plus de 90 ans, en déambulateur, qui après avoir quitté l'Algérie en 1949 a décidé d'y revenir avant de mourir. "Une semaine de galère physique, mais tellement forte émotionnellement." Rien que pour cela, il n'est pas prêt de s'arrêter.
Envie de vous embarquer ? Rendez-vous page 2 pour suivre un des rares guides sur Alger
MARSACTU
Par Elodie Crézé, le 3 août 2012
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